Penser la limite : les acteurs du changement

Par Nicolas Lozier.

Serait-on en passe, comme le suggère Ascher (2009), de devenir une civilisation urbaine ? Cette question nous dévoile. La considérer met en lumière une génération (de générer) des individus et des sociétés dans le giron de la société urbaine. Ils sont modelés au fait urbain. Cette dimension urbaine elle-même se façonne, évolue, reflète les états d’esprit, bien plus que manichéen, de la société globale. Ce texte fait office de préambule à plusieurs sujets de reflexion, ici effleurés, que je souhaite développer. Ébaucher, à cette étape, une réflexion sur les penseurs de la limite confirme le besoin de se pencher sur ce qui pose problème avec la ville, produit social, et sur les manières dont ces problèmes peuvent être réglés par ses individus.

Lagos, Nigeria : un peu plus qu'une esthétique du chaos

Lagos, Nigeria : un peu plus qu’une esthétique du chaos

Ces derniers siècles, la philosophie des Lumières et le système capitaliste ont façonné les modes de penser et de produire la société en général. Cette dynamique a évidemment été reproduite bien différemment selon les régions du monde. La propagation de la logique du développement et des idées capitalistes (néo)libérales au cours des deux derniers siècles a vu l’émergence d’un ordre urbain différencié. Au sein même de la société occidentale, Lefebvre (1970) soutient que l’urbanisation complète de la société est en cours. Précisons, avant de développer ci-dessous, qu’il ne serait être question que d’urbanisation au niveau matériel, sur le principe d’une dichotomie ville-campagne. Mais si le terreau occidental est le réceptacle privilégié des idées sur la rationalisation de l’organisation socio-spatiale, l’exportation de ce modèle aux autres sociétés régionales du monde s’est déroulée avec plus ou moins de succès. La preuve (territoriale) en est, pour Fourchard (2007), l’incapacité de certains États en Afrique, notamment le Nigeria, de répondre aux besoins de leur société sans référer de façon normative à un ordre urbain de type colonial. Cette incapacité, sans vouloir être angélique, a cependant quelque chose de remarquable : l’impuissance des gouvernements de se démarquer des modes de production politique, économique et social dominants a façonné une mégapole de Lagos à la fois esthétiquement chaotique (pour Koolhaas) et incubatrice de mille ressources.

Plutôt que de se laisser déborder, de vivre avec fatalité un développement urbain et humain augmentant les disparités, de nombreux individus agissent avec ingéniosité ou font preuve de ressort. Ce qui, pour certains des plus démunis, nécessite une bonne dose de persévérance, à défaut de ressources. D’autres se montrent plus subversifs. En Allemagne, ou ailleurs, des individus s’organisent pour détourner des espaces urbains creux (public ou privé) dont ils réclament le droit d’user ; interstices parmi les espaces pleins de la ville qui appellent un « agir urbain » (Petrescou, Querrien et Petcou, 2008). Car l’espace public, construit en fonction des préceptes libéraux puis néo-libéraux, incarne l’esprit de la consommation de masse (Guy Debord publie la Société du spectacle en 1967) puis celui de la consommation différenciée, esprits colportant matériellement et de façon intangible les symboles du pouvoir (Petropoulou, 2010). Ainsi, entre pratiques à la limite de la survivance (Davis, 2007) et pratiques d’appropriation de l’espace de vie, il est question de failles ou d’ouvertures dans lesquelles croissent la vie. À l’envers de cette tendance généralisée et implacable, certains penseurs ont pensé le système dans ses premiers retranchements. Par exemple, le mouvement situationniste a tenté de parer cette évolution en proposant des modèles de ville alternatifs.

Pour un « droit à la ville »

Avec la libéralisation des forces économiques et leur intrication dans les appareils politiques, la réalité urbaine devient une force productive. En vue de « l’urbanisation complète de la société » (Lefebvre, 1970), la « problématique urbaine » impose de considérer le fait urbain comme un phénomène plus complexe que la ville. S’engager sur cette voie du « possible » présuppose de s’attarder aux obstacles pour y parvenir. En postulant, à la fin des années 1960, que la ville industrielle est en crise, Lefebvre montre avec optimisme qu’aucune action ou production sociale (telle que la ville) est immuable, que rien n’est donné. Il présage la globalisation urbaine. Ainsi, lorsqu’il évoque la « révolution urbaine » à venir, Lefebvre anticipe la phase critique que les villes et ses habitants vont connaitre dans ces dernières décennies (Smith, 2003). N’en déplaise aux idéologues (j’emploie le terme de Lefebvre) qui ne s’en tiennent qu’aux cohérences, associer l’urbanisme comme politique (dans ses dimensions institutionnelle et idéologique ; cette position, confronter la politique à l’économie, lui permet de critiquer l’urbanisme scientifique et technique de l’époque) met de l’avant les espaces hors gouvernes (les hétérotopies ; c’est-à-dire qu’un lieu est le réceptacle d’un sens, d’une pratique, d’une fonction, et à la fois détourné : par exemple le lit des parents sur lequel jouent des enfants). À cet effet, il souligne le pouvoir dialectique de la rue ou du monument. Ils sont autant moments de libération qu’instruments de contrôle socio-spatiaux ; à la fois espaces partagés et espaces disputés, pour reprendre la formule de Fourchard.

L’urbanisation (quantitative cette fois) du monde met en lumière des schémas inégaux de la ville contemporaine, entre « mégacités » et métropoles ou « villes globales ». L’accroissement du nombre d’habitants des villes produit fatalement des formes urbaines (la « bidonvillisation ») aux conséquences inhumaines, à la limite d’une survivance biologique et écologique (Davis, 2007). Aux lendemains de l’application des programmes internationaux d’aides aux développement, comme les programmes d’ajustements structurels (PAS) mis en place par le FMI, dans les différents pays du soi-disant tiers monde qui ont découlé sur une ingérence interne des politiques nationales de nombreux pays (Al Sayyad, 2003), le mouvement de population causé par la « dépaysanisation » des régions africaines entraine une migration soutenue vers les grandes villes alors même qu’aucune production économique n’y soit possible. Tandis que les gouvernements tentent de contrôler l’ « informalité » qui en résulte, causant des affres à l’échelle des rues, des marchés publiques, les résurgences irréversibles de l’incontrôlable, ou de l’ouvert comme dirait Lefebvre, se montrent toujours là. Mais cette informalité urbaine est le produit de multiples forces. Elle peut avoir des causes multiples et toutes ne sont liés à l’approche néolibérale, comme c’est le cas en Israël avec les camps de réfugiés palestiniens (Al Sayyad, ibid.). Les tentatives de contrôles associés font état d’une collection de pratiques, qu’elles soient juridiques ou technologiques, visant à limiter les accès aux espaces urbains, voire à ségréguer. « We have learned that urban informality does not simply consist of the activities of the poor, or a particular status of labor, or marginality. Rather, it is an organizing logic which emerges under a paradigm of liberalization » (Al Sayyad, 2003 : 26).

L’expression de Lefebvre, pour « un droit à la ville », devient un mot d’ordre. Il justifie l’action citoyenne suite aux conséquences des tensions individuelles ou collectives poussées à saturation dans une société où la tendance néo-libérale dessine les formes de contrôle politique et façonne une dimension économique accentuant les écarts de richesse. C’est cette nouvelle forme de mouvement social, initié à Seattle en 1999 lors d’un sommet du G8, que l’action collective « December Youth » inaugure en Grèce en 2008 (Petropoulou, 2010). Cette série de manifestations se distingue des mouvements sociaux plus « traditionnels » dans la mesure où il vise dans les centres-ville, qui sont le territoire du capital, d’Athènes et de Thessalonique les symboles du néolibéralisme (ou les artifices qui alimentent le spectacle). Mais au-delà de porter une action violente (ce que ne peut exclure la « révolution urbaine », rappelle Lefebvre), il s’agit, pour Petropoulou, de réaliser une action collective en quête d’appropriations de son espace de vie, un « mouvement social urbain poétique ». À cet égard, notons le rôle que peuvent jouer certains sites web du réseau Internet servant de médiation instantanée dans l’organisation de résistances populaires (en Grèce, mais aussi récemment en Iran, et quasi simultanément à la rédaction de ce texte en Tunisie ou en Égypte).

Le rôle des acteurs analystes

Nous reprenons volontiers le terme d’acteur analyste employé par Lefebvre pour désigner les théoriciens, les commentateurs ou les simples individus actant à redéfinir les capacités inexploitées, hétérotopiques, de l’espace de vie individuel et collectif. Le mouvement situationniste a tenté de parer cette évolution en proposant des modèles de ville alternatifs. Si tout n’était pas bon à prendre, sa philosophie a perduré grâce à sa propension à penser la limite à une certaine époque (de la fin des années 1950 aux lendemains de Mai 68). Aujourd’hui, le deuil suite au sabordage du mouvement par Debord (l’Internationale Situationniste a été initié en 1957) étant dépassé, il y a résurgence des thèses situationnistes. Pourquoi ? Si le mouvement situationniste fait l’objet de récupération par certaines institutions, notamment pour ses aspects esthétiques, il confère une base théorique qui nourrit les lectures de multiples individus exprimant leur volonté de s’approprier leur espace de vie (Swyngedouw, 2002 ; Schafer, 2008 ; Petcou et Petrescu, 2008).

Remise en cause de la société capitaliste par le détournement

Guy Debord, à la tête du mouvement, et ses fidèles se sont inspirés des thèses de Lefebvre qui faisaient l’actualité. Cette période d’échanges entre le philosophe et les situationnistes (auparavant les Lettristes) a été aussi brève qu’intense ; chacun, au bout d’un temps, s’accusant l’un et l’autre de plagiat (Simay, 2008). Néanmoins, elle a été le point de départ d’une réflexion fructueuse qui traduisait l’esprit révolutionnaire de l’époque. Alimentée principalement par les réflexions de Debord (dans la continuité de Lefebvre) et ses critiques sur le système capitaliste, l’objectif du mouvement était de tenter une « transformation révolutionnaire de l’existence, à travers la participation des citoyens et la réintégration du poétique dans l’ordinaire » (Simay,ibid. : 203) à partir de pratiques artistiques et littéraires. Les réflexions ont plus particulièrement porté sur le rôle de l’architecture et de l’urbanisme avec comme perspective de faire la jointure « entre la ville, la vie et le désir » (ibid : 204). S’inspirant du modèle du joueur (Homo Ludens) de Huizinga (1951), elles encourageaient la participation actorielle de chacun dans la construction de  « situations » : « c’est-à-dire à l’élaboration de moments de vie, à la fois singuliers et collectifs, à la création d’ambiances ou de jeux d’événements, tous transitoires. De ce fait, chaque construction, pour être à l’écoute du désir et ouverte sur le possible, devra nécessairement être mobile et modulable, permettant à chacun, au gré de ses envies, des rencontres et de la force des lieux, de réinventer sa vie à travers une série indéfinie d’expérimentations » (Simay, ibid. : 2004).

Ainsi, pour reprendre un symbole de Lefebvre, la rue devient lieu d’expérimentation puisqu’elle est brimée par le pouvoir. L’esprit révolutionnaire contemporain voit en la rue le canal qui portera ses idées vers leur matérialisation. Toute la richesse du mouvement vient qu’il construit son essence dans les perversions du système politico-économique (qui est à la limite de l’implosion/explosion) de sorte à embrasser les points positifs et les possibilités de celui-ci. Il ne pourrait s’agir de révolution mais plutôt d’une évolution dialectique arrachée de l’intérieur, à la manière d’un geyser. Afin de lutter contre la commodité du moment, Debord propose le « détournement » (Swyngedouw, 2002). Il propose ainsi une redéfinition du rôle de l’espace urbain selon un processus de compréhension géo-historique et réclame de se détourner des signes (qui sont le symbole, le phénomène de l’espace en représentation, du capitalisme). Les désirs individuels rencontreront les ambitions collectives et motiveront les initiatives locales, au quotidien.

Appropriation d’un espace creux : Les jardins Ecobox, Paris.

En guise d’ouverture

De plus en plus souvent, le milieu artistique s’enquiert à montrer ce que le cinéaste Chris Marker, dans son film documentaire « Sans soleil » (1983), réalisait, c’est-à-dire « un voyage aux deux pôles extrêmes de la survie ». Même si plusieurs dans le milieu cinématographique, déplore Dasgupta (2006), s’entiche à représenter dans un simulacre occidentalisé la vie humaine dans les différentes régions du monde (on peut montrer du doigt des films comme « Slumdog Millionaire », succès des box office en 2008), d’autres tâchent de rendre poétique la cruauté du réel. Dans « Sans soleil », ce magnifique documentaire, Marker filme les polarités du monde en scrutant deux contextes : le boom économique et technologique du Japon survenu dans les années 1970, un extrême, et, autre extrême, l’état de pauvreté la plus absolue d’un village d’une île du Cap Vert (ou bien est-ce au Cambodge ? Que sais-je…). La démarche de Marker est un point de départ auquel il faut emboîter le pas, à sa manière.

Nicolas Lozier

Bibliographie

ASCHER, François. 2009. L’âge des métapoles. Paris, Éditions de l’aube.

ALSAYYAD, Nezar. 2003. « Urban Informality as a « New Way of Life »». In Ananya ROY et Nezar ALSAYYAD (dirs.). Urban Informality: Transnational Perspectives from the Middle East, Latin America and South Asia. Lanham : Lexington Books, p. 7-30.

DASGUPTA, Rana. 2006. « The Sudden Stardom of the Third-World City », The New Statesman, march 23.

DAVIS, Mike. 2007. Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global. Paris, La Découverte, chapitre 1.

FOURCHARD, Laurent. 2007. « Les rues de Lagos : espaces disputés/espaces partagés », Flux, no. 66-67, octobre 2006-mars2007, p. 62-72.

LEFEBVRE, Henri. 1970. La révolution urbaine. Paris, Gallimard, chapitre 1.

MARKER, Chris. 1983. Sans soleil. Paris, Argos films, film documentaire, 100 min.

PETCOU, Constantin et PETRESCU, Doina. 2008. « Agir l’espace », Multitudes, no. 31, hiver 2008, p. 101-114.

PETRESCU, Doina, QUERRIEN, Anne et PETCOU, Constantin. 2008. « Agir urbain », Multitudes, no. 31, hiver 2008, p. 11-15.

PETROPOULOU, C. 2010. « From the December Youth Uprising to the Rebirth or Urban Social Movements: A Space-Time Approach », International Journal of Urban and Regional Research, Early view.

SCHÄFER, Christoph. 2008. « Sur les palmiers, la neige », Multitudes, no. 31, janvier, p. 43-50.

SIMAY, Philippe. 2008. « Une autre ville pour une autre vie. Henri Lefebvre et les situationnistes »,Métropoles, no. 4, <http://metropoles.revues.org/document2 902.html> [En ligne]. Page consultée le 27 avril 2009, p. 202-213.

SMITH, Neil. 2003. « Foreword », in The Urban Revolution, Minneapolis, University of Minnesota Press, p. vii-xxiii.

SWYNGEDOUW, Erik. 2002. « The Strange Respectability of the Situanist City in the Society of the Spectacle », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 26, no. 1, p. 153-165.

L’inauguration d’un monde

Par Nicolas Lozier.

Pour la première fois, je voyais vraiment Samaris… Je compris que durant toutes ces semaines, la ville n’avait existé que pour moi, qu’aucun autre regard n’avait pu la percevoir (Schuiten et Peeters, 2007 : 41).

[D]ans telle tache visible sur un mur, nous « reconnaissons » un visage ; en promenade dans les Alpes, tel rocher nous apparaît comme une sculpture, dont nous pouvons même parfois identifier l’auteur. Nous avons l’impression, souvent intense, qu’il s’agit d’un fait, d’une donnée. Pourtant, il se peut que la personne qui nous accompagne, elle, ne perçoive rien. Que se passe-t-il? Nous avons assimilé un code, ce qui est le cas pour la sculpture, tandis qu’une autre personne, d’une culture différente, ignore ce code et donc perçoit les objets différemment. Nous avons saisi le réel par projection, nous ne l’avons pas perçu tel quel (Corboz, 2009 : 42).

L’esprit attentif, un premier pas est lancé. Avance-t-il ou rétrograde-t-il ? Augure-t-il un quelconque présage dont on ne peut encore identifier les causes ou les conséquences ? Bien sûr, à ce stade, ce serait se fourvoyer que d’anticiper si ce pas nous sera bénéfique ou malheureux. Mais, essayons-nous pour voir : avons-nous affaire à un contexte parallèle ou à une structure spiralée ? Non, il est encore trop tôt. Quelque soit la direction envisagée, qu’elle soit émancipatrice ou obsédante, on ne saurait toutefois dire la nature du chemin que l’on emprunte en rejoignant sur elles les couvertures qui recèlent la première histoire dessinée des Cités Obscures.

Page extraite de "Les murailles de Samaris", Schuiten et Peeters

Page extraite de « Les murailles de Samaris », Schuiten et Peeters

Ouverture

Deux auteurs, par le truchement de la bande dessinée, inauguraient au début des années 1980 une voie vers un autre monde, celui des Cités Obscures. François Schuiten et Benoît Peeters sont les deux entremetteurs de ce lieu salvateur. Le premier dessine, le second narre un univers particulier où architecture et utopie, imaginaire et faux-semblant, se télescopent. Ces quelques mots résument une ambiance, que l’on découvrira insolite et familière au fil de cette oeuvre, qui me suffisent à vouloir en approfondir la teneur. Tout en restant volontiers approximatif, il me semble intéressant de se pencher sur la méta-histoire des Cités Obscures. Ici, je ne m’intéresse pas vraiment à la composition des strips et à la cohérence de la structure de cette série, n’étant qu’un simple amateur de bandes dessinées. Je peux toutefois m’avancer à juger de la bonne qualité des dessins et des plans. J’apprécie le style graphique et narratif dans son ensemble.

Avant toute chose, il importe de décrire, ne serait-ce que brièvement, la géographie des Cités Obscures. Elle représente un monde « pangéen » très inégalement inoccupé et radicalement découpé et colonisé. La prépondérance des déserts au centre du continent et des mers le circonscrivant font que les populations peuplent principalement ses marges. Ces derniers se répartissent en différents territoires. Généralement, une cité caractérise ce territoire, et ce, sans qu’il ne soit précisé la nature de la relation que la cité entretient avec sa région. À tout le moins, celle-ci fait office de lieu principal de concentration de la population ou de rassemblement des pouvoirs politiques, économiques, culturels, etc. (l’un n’implique pas forcément l’autre). Aussi, il nous est dit, dans « Le Guide des Cités », la place privilégiée accordée à la ville : « [l]a ville, en tant qu’institution autonome et modèle d’organisation, est le premier fondement des Cités obscures et constitute le principal système de gouvernement, un peu comme ce fut le cas en Italie pendant des siècles » (Schuiten et Peeters, 1996 : 19). Chaque territoire étant topographiquement plus ou moins accessible à l’autre, les cités sont autant de lieux connectés de façon particulière ; par exemple, on ne saurait dire pour l’instant si ces endroits connaissent par exemple des relations commerciales ou bien des correspondances culturelles, si certaines cités entretiennent des rapports belliqueux ou si quelques universités font profiter de leurs savoirs l’ensemble de ces cités. Peut-être ces lieux n’exposent-ils que leur reflet, ou leur envers ; ce qui est encourageant pour l’avenir, désireux de les révéler à la face de notre monde. Dès lors, il nous faut trouver les clefs de lecture de ces lieux. Ainsi, quoi de plus banal que de faire intervenir des êtres humains comme personnages. C’est tout ce qu’il y a de plus irrationnel et passionné un être humain. Avec eux, on peut être sûr de n’être satisfait qu’à moitié des éléments qu’ils nous feront rencontrer ou qu’ils tenteront de nous expliquer. Un mot sur ces personnages à venir. On les croise un peu par hasard. Celui-là ou un autre, finalement, il importe peu du moment qu’ils remplissent leur rôle de médiation entre les étrangetés et le sentiment de déjà-vu de ce monde et puis nous, lecteurs. On peut s’attendre à ne pas tout comprendre. Ce n’est pas grave. C’est même rassurant. Mais intéressons-nous à la première de ces histoires.

Les Murailles de Samaris

« Les Murailles de Samaris » (Schuiten et Peeters, 2007) raconte l’histoire d’un ingénieur de Xhystos, Franz Bauer, envoyé enquêter par les administrateurs de sa ville sur l’origine de la rumeur qui circule à propos de Samaris. Autant le dire tout de suite, cela permettra de ne pas focaliser sur la « psychologie » du personnage, on ne sait pourquoi il est envoyé là-bas, ni ce qu’il va y faire ; le personnage non plus, bien évidemment (parce que c’est lui qui nous le renseigne implicitement). Tout ce qu’il sait, c’est que d’autres, parmi lesquels certains de ses amis, ont été envoyé à Samaris. Mais il ne s’agit que d’un vague souvenir que d’autres amis, présent ceux là, lui rappellent. Située loin au sud, à quelques semaines de voyage, la ville de Samaris sait se faire désirer pour celui qui tente de la rejoindre : « Je l’avais crue proche d’abord. Je voyais maintenant tout ce qui m’en séparait » (ibid. : 23). Par ailleurs, ce trajet illustre l’immensité creuse des espaces entre les villes. Personne ne semble y vivre. Finalement, Franz Bauer, laissé à son sort, atteint Samaris.

Son premier réflexe consiste à caractériser la structure architecturale de la ville : « Différentes architectures semblaient s’y mêler, comme si la ville conserve des traces de toutes les civilisations qu’elle avait habitées » (ibid. : 24). Cette structure exprime de prime abord l’idée d’un palimpseste, d’une archéologie complexe qui révèle le cumul historique de différentes couches politiques et culturelles qui ont composé successivement la ville. Samaris serait alors une ville dont l’importance réside dans son histoire riche. Mais pourquoi reste-t-elle si mystérieuse pour l’administration de Xhystos ? Dès lors, Franz Bauer s’approprie les lieux et observe les citadins qui les habitent. D’abord hésitant, il découvre avec engouement la ville qui se révèle à lui ; chaque coin de rue ouvre sur de nouvelles perspectives architecturales au point que cette trame constitue une séquence inédite perpétuelle.

Puis la récurrence des promenades et, surtout, des rendez-vous quotidiens avec une femme l’installent rapidement dans une routine. Cette routine, de plus en plus oppressante car bizarrement trop répétitive, entrouvre sur des moments de questionnement. Le doute s’installe chez Franz Bauer. En effet, comment ne pas subodorer de la vraisemblance de l’environnement qu’il traverse : « [i]l me semblait souvent repasser par les mêmes points. J’étais sûr d’avoir déjà vu tel porche, telles arcades, telles moulures à un balcon » (ibid. : 31) ; et de la répétitivité dérangeante de l’unique relation qu’il entretient (avec cette femme) : « [j]e retrouvais chaque jour Carla devant sa porte, arrivant chaque après-midi un peu plus tôt à cette sorte de rendez-vous qu’implicitement nous nous étions fixé » (ibid. : 30). Alors, il multiplie les tentatives pour figurer au mieux ces situations. Il s’agite et découvre la facticité de l’agencement spatial et du contexte social : « [p]ourquoi ne voyait-on jamais d’enfants à Samaris ? Pourquoi tant de portes étaient-elles condamnées ? » (ibid. : 34). Il bouscule ces éléments qui le cantonnaient à la passivité et au tâtonnement. Il revoit sa tactique et remet en cause la position qu’il avait emprunté.  »Tout cela avait duré trop longtemps » (ibid. : 35).

Décidé à quitter la ville, il s’entête à vouloir mêler cette femme à son dessein. Ce qui ne manque pas de provoquer un incident. De retour à son hôtel, la confusion des évènements passés exacerbe ses sens. Un bruit sourd et persistant, qu’il avait entendu à son arrivée et auquel il s’était habitué au point de ne plus y prêter attention, le captive à nouveau. L’air hagard, il force la porte de la chambre à côté de la sienne d’où le bruit semble provenir. Et le mystère de Samaris se dévoile brusquement. À l’envers des facades s’explique le leurre dans lequel on a voulu confiner Franz Bauer. La supercherie prend fin et le cauchemar commence. Une machinerie complexe articule les éléments du décor de sorte à agencer l’environnement chimérique : « Les rues, les maisons ne s’établissaient qu’en fonction de mes trajets ― labyrinthe mouvant où s’épuisaient mes pas, ville insensée où nul parcours jamais ne répétait le précedent… » (ibid. : 41). On lui a montré Samaris tel qu’il voulait la voir. Bien que se rendant compte de la facétie dans laquelle, avec un contrôle omnipotent, on le laissait se mouvoir, il découvre que les habitants ne sont que de simples pantins de bois qui s’animaient avec force conviction en sa présence. La femme était-elle le piège ultime qui allait le charmer et le confondre dans ce simulacre ? Au moment où il obtient sa réponse, il fait face à un autel où un livre se trouve posé. L’effroyable vérité se révèle à la lumière des dessins et du texte qui le composent. Les premiers représentent l’emblème de la ville que Franz Bauer avait auparavant remarqué et dont il avait demandé le sens. On lui avait rétorqué qu’il s’agissait d’une représentation d’une « drosera », une plante carnivore qui peuplait la région. En dessous des images, il est écrit :  »Née comme la plante, la ville se sera développée comme la plante et sans qu’aucune impureté ne soit venue l’entacher, elle se sera nourrie de ceux qu’elle aura su capter » (ibid. : 46). Ainsi cette ville carnivore déploie ses artifices pour mieux piéger sa proie. Il faut s’en échapper.

Le retour vers Xhystos est des plus pénibles. Mû par la force de sa révélation, il se prodigue courageusement à rejoindre son but. Une fois dans la ville, Franz Bauer, en piteux état physique, cherche à faire son rapport. Or, tout avait changé à Xhystos. Ou presque, tout lui paraissait changé. N’ayant accès, dans les premiers temps, au bâtiment du conseil, il tente vainement de retrouver ses amis et son ancienne maîtresse. En attendant d’obtenir audience, il erre dans Xhystos, pris parfois par de fortes hallucinations. Samaris semble lui avoir altérer sa raison aussi. Quand on lui laisse finalement l’occasion de raconter son histoire, personne des membres du conseil ne paraît se souvenir de Franz Bauer. Au bout d’un moment, enfoncé dans les curieuses révélations qu’on lui assène, Franz Bauer prend étrangement conscience de tout ce qu’il a laissé derrière lui. Xhystos devient pour lui une nouvelle supercherie, le « simulacre du simulacre » (ibid. : 54). Il repart vers Samaris, qu’il a abandonné.

Labyrinthe obscursien

Rapporter cette histoire nous enseigne plusieurs éléments ; et ce, parce que je considère, jusqu’à preuve du contraire, la crédibilité du monde des Cités Obscurs. Il est possible d’analyser, a posteriori, le cheminement de Franz Bauer dans la ville de Samaris à la lumière de la figure du labyrinthe. D’ailleurs, il en est fait mention à une reprise dans « les Murailles de Samaris ». Dans un texte retraçant la genèse du labyrinthe, André Corboz (2009) fait coïncider le développement de cette figure avec l’évolution de l’idée de destin. Se fier à cette clé de lecture permet de comprendre le processus mental construit par Franz Bauer pour se réchapper de l’errance à laquelle il était voué. En effet, il s’avère que cette figure du labyrinthe a progressivement évolué en trois grandes phases, le passage de l’une à l’autre marquerait ce que Foucault appelle une « rupture épistémique », qui sont, pour Corboz, autant de moments qui signifient une évolution des représentations relatives au sens de l’être, de l’ontologie humaine. Aussi, je me contenterai de présenter les trois grandes phases du labyrinthe. Elles expliqueront suffisamment les étapes de progression du personnage principal de cette histoire.

Le labyrinthe « crétois », ou le premier type de labyrinthe

Pour commencer, qu’est-ce qu’un labyrinthe ? C’est soit « un dédale ou, comme dit l’allemand, unIrrgarten, soit un lieu où l’on se fourvoie » (ibid. : 19). On rencontrait déjà le labyrinthe dans certains épisodes de la mythologie grecque (le labyrinthe du Minotaure). Aujourd’hui, à part quelques vestiges, il est principalement objet récréatif (basé sur le modèle de la première ou de la deuxième phase, comme nous allons le voir). Il est symbole que l’homme se caractérise également par sa capacité à se fourvoyer dans un environnement qu’il pense maitriser. Car le labyrinthe est toujours production humaine ; Dédale avait construit celui qu’occupait le Minotaure. Ainsi, le labyrinthe « crétois » ou de « Cnossos » constitue le labyrinthe de la première phase : « carré ou circulaire, ce labyrinthe présente un point central géométrique déterminé et, surtout, il n’offre qu’un seul parcours à partir d’une seule entrée » (ibid. : 21). Cette figure rappelle le cheminement vécu par Franz Bauer lors de son arrivée à Samaris, lorsqu’il découvre la ville qui se présente à lui toujours sous un jour nouveau et cela, rappelons-le, pour mieux le charmer. Car le labyrinthe crétois n’accueillait-il pas en son sein et au bout du chemin le Minotaure, qui incarnait la mort ? « Un seul parcours et la mort comme issue : le labyrinthe du premier type incarne le destin » (ibid. : 25). Dès lors comment transcender un destin aussi implacable ? La réponse provient du labyrinthe du deuxième type. Un projet de jardin, mené par Jules Romain entre 1525 et 1534 au palais du Té à Mantoue, offrait des choix de parcours : « Le plan comporte un centre, avec un seul accès et une seule entrée; en revanche, les parcours possibles sont presque toujours fondés sur le principe de l’alternative: juste ou faux » (ibid. : 28). Il fait écho à la question du libre-arbitre qui est âprement discutée durant le XVIe siècle par Érasme ou Luther. « Dans cette perspective, le labyrinthe de Jules Romain emblématise en quelque sorte ce point tournant qui met fin au Moyen Âge, puisqu’il ne signifie plus le destin, inéluctable, mais la responsabilité partagée. Il y a toujours une vérité unique qu’il faut découvrir au centre, mais c’est à la conscience d’y parvenir » (ibid. : 30). À la lumière de cet emprunt, on saisit la capacité de Franz Bauer à douter. Il restitue alors un sentiment de contrôle lorsqu’il remet en question son emplacement et ses déplacements dans cet environnement dont il perçoit la redondance. Il affirme le pouvoir de son libre-arbitre. Finalement, la forme du labyrinthe n’évoluera plus vraiment, si ce n’est pour se rendre compte d’une évolution de nature réflexive cette fois-ci.

Paul Klee. « Labyrinthe détruit », peinture, 1939

Selon Corboz, la première occurrence du troisième type de labyrinthe correspond à la création de l’oeuvre de Paul Klee, « labyrinthe détruit » (1939) : « Le titre est explicite, comme s’il déclarait que la vérité cesse d’être une sorte de course au trésor, mais qu’il appartient désormais à chacun de la façonner » (ibid. : 32). Bien sûr, précise l’auteur, l’itinéraire n’est par forcément différent : « Disons plutôt que chacun est désormais responsable de son parcours » (ibid. : 32-33). C’est ce qui se produit pour Franz Bauer au moment où il traverse de l’autre côté du décor et qu’il découvre les rouages de Samaris. Exprimant une conscience à fleur de peau, il parvient à déjouer les éléments qui le retenaient dans un état sous contrôle et à s’extirper de cette situation où la réalité lui était dictée. Ainsi, la figure éclatée du labyrinthe renvoie à l’exercice de déconstruction du réel. Sauf que dans cette histoire, lorsque Franz Bauer, « construit » de ce nouveau rapport au réel, s’empresse de rapporter aux responsables de Xhystos la « vérité » sur Samaris, il ne peut supporter le poids de celle-ci. S’il a réussi à canaliser la vérité à propos d’un lieu, au prix d’un processus mental intense, il ne supporte par contre pas l’idée que cette vérité se dévoile partout ; et d’autant plus à propos de ce qui constituait sa réalité, Xhystos. Ce qui, au final, lui fait rendre compte que le réel serait l’objet du déploiement du simulacre, le « simulacre du simulacre ».

À propos des Cités Obscures : explications complémentaires

On apprend dans « Le Guide des Cités » que l’univers végétal tient une place importante dans les représentations du monde Obscursien. Cet ensemble cosmologique se matérialise bien souvent a posteriori. En fait, nombre de formes végétale ornent, à chaque fois de manière pittoresque, les éléments architecturaux des villes. Dans un cas particulier, il semble que cet organicisme végétal sous-tende la planification originelle de Samaris. En effet, le personnage principal bute plus avant dans son histoire sur un ouvrage retraçant l’origine mythique de la ville de Samaris. Celle-ci se révèle être non pas une construction anthropique mais un échafaudage patiemment déployé afin de ne viser qu’un seul but : engloutir celui qui s’aventure en son sein. Car, Samaris est une expression urbanistique de la « drosera ». Son plan a été conçu pour que la ville s’apparente à une plante carnivore. Ville-plante ou labyrinthe-végétal auraient dit Deleuze et Guattari. Les artifices prennent tout leur sens. Le simulacre est presque parfait s’il ne fallait se rendre compte de son point faible, de la lourdeur répétitive de son mécanisme.

De Xhystos, on n’en saura pas grand chose, mis à part qu’il ne prend que quelques minutes, pour Franz Bauer, pour s’enregistrer aux registres d’attribution de sa mission et qu’il lui faut plusieurs jours pour se rendre compte que toute cette aventure n’a été que boniment ou cruellement révélatrice d’une nature fallacieuse. Alors, il nous faut puiser des informations contenues dans « Le Guide des Cités » pour compléter le travail descriptif de Xhystos. Objet d’un vaste programme de restructuration, la ville a été reconstruite à partir des croquis tirés d’un ouvrage. Nulle architecte n’assura cette tâche. En effet, notons simplement que les livres font état d’un véritable culte par la population obscursienne dans son ensemble ; l’influence de l’ouvrage à l’origine de la fondation de Samaris nous le rappelle. Ainsi, présentant un style urbanistique homogène, le plan de Xhystos déroute ses propres habitants : « Des quartiers complets se reproduisent plusieurs fois, jusque dans les plus petits détails » (ibid. : 130). Cet agencement spatial est la cause chez certains habitants d’une dérive psychologique de leur part. Elle se traduit, éventuellement, en la perte de repères et du sens du domicile. Cette forme d’ « égarement » a même été diagnostiqué : « le fameuxeffet-Samaris » renseigne la « [p]erte des repères spatiaux en même temps que crise d’identité » (ibid. : 130). Ce qui signifie que ce mal, renvoyant familièrement à la situation de Samaris, mais dialectiquement opposé parce qu’entre permanence et fugacité, est finalement documenté par les autorités de Xhystos. On l’aura deviné, Xhystos entretient une sorte de fascination à l’endroit de Samaris. Et le moment de la reconstruction de Xhystos, figeant radicalement ses formes architecturales avec une redondance urbanistique extrême, signifie la volonté secrète de reproduire le phénomène de séduction éphémère de son modèle. Mais de cette période de la Cité, il n’en reste pas beaucoup de traces (cf. Le Guide des Cités). Par conséquent, il nous est impossible de trancher le noeud Gordien. Il fallait s’y attendre.

Deux lieux, Xhystos et son double Samaris, comme deux entrées du monde des Cités Obscures, sont ici révélés. Cette entrée en matière fait office de prélude à des lectures attentives que je compte faire ultérieurement des volumes qui racontent les Cités Obscures. L’esprit désarçonné, ou bien n’est-ce que la conséquence préliminaire d’une rencontre en cours avec l’abîme, je poursuivrai.

Nicolas Lozier

Bibliographie

CORBOZ, André. 2009. « La troisième phase du labyrinthe ». In Sortons enfin du labyrinthe !. Gollion (Suisse), Infolio, Texte retouché d’une conférence donnée le 20 mars 2001 au séminaire interdisciplinaire des Archives Piaget, université de Genève, p. 19-46.

PEETERS, Benoît. 1996. Le guide des Cités. Tournai, Casterman.

PEETERS, Benoît. 2007. Les Murailles de Samaris. Paris, Casterman.

Village global, démocraties emmurées

Par Antonin Margier.

Des gens qui habitant quelques arpents vont tracer une frontière entre leur terre […] et le territoire qui est au delà, qu’ils appellent « le pays des barbares » […] la géographie imaginaire du type « notre pays-le pays des barbares » ne demande pas que ces derniers reconnaissent la distinction. Il « nous » suffit de tracer ces frontieres dans notre esprit, ainsi « ils » deviennent « eux »  (Said, 1980).

À l’heure où l’on célèbre avec passion la chute du mur de Berlin, force est de constater que les murs-frontières prolifèrent de façon considérable sur le globe, au nom d’une prétendue sécurité interne à établir face aux menaces extérieures. Pourtant, dans un monde en mouvement et parcouru de flux incessants, ces constructions d’un autre âge (malgré les dispositifs de haute technologie qui les accompagnent) paraissent en décalage avec leur époque. La parution récente de « Murs, le déclin de la souveraineté étatique » de Wendy Brown nous offre l’opportunité d’interroger ce phénomène de construction. Quel rôle les constructeurs attribuent-ils à ces barrières? Comment expliquer cette propagation de murs ? Quel est leur sens profond ?

Selon Carl Schmitt, « la clôture (et par conséquent la propriété) constitue la condition préalable de l’ordre politique et du droit ». Car la clôture construit la séparation entre l’espace souverain et l’espace ordinaire, « la ligne de démarcation forme la base de la constitution et du pouvoir constitué sur le plan intérieur, ainsi que le seuil au-delà duquel la loi perd toute validité » (Schmitt, 2001). C’est ce schème, nous rappelle Wendy Brown dans son ouvrage, qui aurait contribué à légitimer la violence au-delà d’un espace autre ainsi que la « conquête coloniale originelle et la violence employée par les colons pour défendre leur colonies ». De fait, la souveraineté serait née de « l’établissement d’une séparation concrète entre un espace donné et celui du commun ». Or, les aspects caractéristiques de la souveraineté (la suprématie, la perpétuité, le décisionnisme ― fait de faire reposer tout un ensemble de normes sur une pure décision d’autorité hors de toute rationalité ― et l’absoluité) sont actuellement mis à mal par la globalisation, par l’accroissement des flux internationaux de personnes, de capitaux, d’idées, ébranlant par conséquent la structure de la souveraineté étatique. Mais si la souveraineté de l’État s’est amenuisée, ni la souveraineté ni l’État n’ont disparu pour autant, c’est plutôt leur dissociation qui semble apparaître. Les États perdurent en tant qu’acteurs non souverains, et la souveraineté se déploie alors dans deux domaines transnationaux, l’économie politique et la violence religieuse, ces derniers se positionnant, en effet, au dessus d’un droit international ou d’un quelconque ordre juridique. Au point que, selon la thèse défendue par Brown, les murs actuels « marquent moins la résurgence, en pleine modernité tardive, de la souveraineté de l’État-nation, qu’ils ne sont des icônes de son érosion ».

Mur israélo-palestinien © Reuters / Reinhard Krause

Si la construction de murs avait tendance à diminuer dans le monde après la fin de la guerre froide, celle-ci reprend avec vigueur à la suite des événements du 11 septembre 2001 (Vallet, 2009). Les deux murs les plus imposants et connus sont évidemment le mur israélo-palestinien et le mur qui sépare le Mexique du Sud des États-Unis sur déjà 300 kilomètres. Mais il existe aussi de nombreuses barrières frontalières en Corée, au Maroc autour de l’enceinte espagnole de Ceuta, ou en Irlande et à Chypre. D’autres frontières plus rarement évoquées, telles que celles entre l’Inde et le Pakistan, l’Arabie Saoudite et l’Irak, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, la Thaïlande et la Malaisie ou l’Ouzbékistan et la Kirghizie constituent également des lieux sur lesquels s’érigent des barrières. Dans ces murs se lisent les paradoxes de notre société post-moderne, entre libéralisation des flux et fermeture des frontières. Or, il apparaît clairement que dans un monde où la circulation des richesses et des hommes n’a jamais été aussi forte, et où les moyens de communication ont profondément modifié notre rapport à l’espace, les murs ne semblent pas avoir l’efficacité prônée par leurs instigateurs. En effet, de nombreuses études ont révélé l’inefficacité de rétention de murs qui seraient même souvent vecteur d’effets négatifs. Comme le rappelle Elisabeth Vallet et Charles Philippe David, « pour sophistiqués que les murs puissent paraître, leur étanchéité demeure hypothétique. Tout au plus déplacent-ils les flux migratoires ». Selon ces auteurs, le mur des États-Unis limitant le passage de la frontière avec le Mexique participerait même à une recomposition démographique de la population états-unienne du fait que la peur de ne pouvoir revenir incite les immigrés mexicains à s’installer durablement. Ils décrivent également l’isolement que créent les murs avec l’apparition de « no man’s lands » dans lesquels l’accès aux services et à l’éducation deviennent une gageure (l’exemple de la Cisjordanie est éloquent) ou encore de la différenciation progressive des écosystèmes qui apparaît autour de certaines barrières. Wendy Brown décrit pour sa part les mécanismes de construction de la violence que développent les murs. Ces derniers participent en effet à la militarisation des zones frontières ainsi qu’à une « sophistication » des moyens de l’économie parallèle pour y faire face. Nous assistons, de fait, à l’émergence d’un sentiment de méfiance parmi les populations locales et, par conséquent, à la création de nouvelles armées locales indépendantes de l’État, comme les « vigilantes » au sud des États-Unis ou certains colons israéliens qui font régner le droit par leurs propres moyens et règles, considérant que l’État est inefficace dans sa lutte. L’efficacité des murs semble alors bien limitée au vu des objectifs politiques et géopolitiques qui légitiment leur construction. Il est donc pertinent d’interroger davantage les effets symboliques et fantasmés des murs afin d’expliquer cette prolifération de barrières. Car leur dimension rassurante semble être une réalité plus forte que celle de limitation des flux : « les murs rassurent. Ils sont le témoin tangible, la démonstration manifeste que les dirigeants agissent: une opération de relations publiques qui, parfois, atteint son objectif officiel, même si ce n’est pas là l’essentiel » (Vallet et David, 2009).

Les murs, théâtralité d’une souveraineté étatique déchue

Ces murs, dans leur absolue concrétude, apparaissent comme une figure « archaïque » dans un monde parcouru de flux virtuels, où l’instantané et les nanotechnologies font partie du quotidien. Les murs apparaissent alors aux antipodes des menaces auxquelles ils prétendent s’opposer (bombes intelligentes, chimiques, bactériologiques). Face aux promesses de liberté, d’un monde sans frontières, ces murs semblent donc bien rétrogrades mais « le mur se construit comme une réponse à un « ennemi » perçu, qu’il soit un « ennemi » extérieur […] ou un « ennemi intérieur » » (Rigouste, 2007). En ce sens, le mur n’est pas  seulement un outil sécuritaire (dans le sens où il n’a pas pour seul but une efficacité vis-à-vis des objectifs sécuritaires qu’on lui attribue), il est également (et avant tout ?) la matérialisation d’un discours politique centré sur les enjeux sécuritaires (Tratnjek, 2009). Car ces barrières ne visent pas à se prémunir d’éventuelles attaques d’autres États souverains, elles ne sont pas des boucliers contre les armées d’un État ennemi, non, elles sont davantage destinées à contrer les flux d’acteurs non étatiques dans le cadre des migrations, du trafic de drogue, du terrorisme, de la contrebande, etc. Ces murs visent donc une protection contre des flux extérieurs qui ne dépendent pas d’États souverains, et dénotent justement ces personnes détachées d’identité nationale ou d’une juridiction souveraine (réfugiés politiques, terrorisme…). Cette menace, détachée d’États ennemis, amène Wendy Brown à considérer les intentions sous-jacentes à la construction de murs au-delà des conventions internationales mises en place par la paix de Westphalie : elle parle alors des signes d’un « monde post-westphalien ». Dans ce contexte, ces murs seraient donc les « signifiants visuels d’un pouvoir humain et d’une capacité étatique tout-puissants, et reflètent, dans un contexte où la souveraineté recule, la restauration d’un pouvoir souverain de décision, de délimitation, de protection et d’exclusion ». Les murs mettent donc en scène la souveraineté déclinante dont Hobbes disait qu’elle tenait les hommes « en respect », non seulement par un pouvoir suprême mais par un pouvoir qui opère en assujettissant les individus par sa majesté et sa puissance. Ainsi, la construction de murs devient un acte politique destiné à masquer d’autres problèmes plus complexes : c’est ce que Wendy Brown nomme la « théâtralité » de la souveraineté à l’instar de Mike Davis qui parle de « décors politiques » puisque ces barrières permettent de montrer l’activisme des acteurs politiques face à des problématiques qui inquiètent les électeurs et face auxquelles ils sont impuissants. Or, la mise en scène de la souveraineté, dans son principe même, témoigne que celle-ci ne va plus de soi.

Murs séparant les États-Unis du Mexique © inconnu

La dimension théologique des murs

Au-delà de la mise en scène du pouvoir, la légitimation de ces barrières s’appuie également sur certaines dimensions psychiques rarement abordées dans les études sur les murs. Wendy Brown s’interroge en effet sur les dimensions psychologiques et théologiques qui animent le rapport des individus aux barrières afin de comprendre le désir de murs. En reconstruisant le développement d’un imaginaire qui se développe autour de l’« autre », de l’« étranger », elle constate que dans le cadre de la dilution de l’identité nationale et de la globalisation, « les murs constituent des écrans sur lesquels peut être projeté un Autre anthropomorphisé, cause des maux qui affectent la nation ». Issue de discours amalgamant l’étranger à une menace et aux problèmes de la nation, la construction de murs renforce cette illusion et répond aux fantasmes de contention, d’imperméabilité et de pureté que les citoyens voient s’échapper dans la société néolibérale. Les murs permettent donc d’éviter toute remise en question de leurs comportements « voyous » (les mêmes qu’ils prétendent combattre) ou de domination qu’ils exercent. Au-delà de cette négation, les murs permettent par ailleurs de renforcer l’image d’un État vertueux et moralement bon. Nous pouvons alors paraphraser des militants israéliens cités par l’auteur, « les sionistes ne perçoivent pas le mur comme un acte d’agression, mais comme un geste de protection, d’autodéfense. […] Un mécanisme psychologique complexe est à l’œuvre dans ce renversement. […] Le mur atteint son objectif : empêcher Israël de voir sa propre agressivité, donc préserver son présupposé fondamental, qu’il est la victime « juste » et « bonne »».

S’appuyant finalement sur l’apport freudien, Wendy Brown montre que les murs, produisant une image du pouvoir et de protection, répondent à un désir rempli d’une dimension religieuse proche de l’aspect théologique de la souveraineté (suprématie, pouvoir de punition et de protection…). Car le déclin de la souveraineté politique à l’œuvre est selon l’auteur davantage qu’une modification des outils politiques du pouvoir, elle est « génératrice d’une crise théologico-politique qui affectera le sujet comme l’État ». Face à un extérieur menaçant, le fantasme d’un État capable d’offrir sa protection « ravive donc une version religieuse de la souveraineté étatique » et « le désir de construire des murs pour protéger la nation constitue le véhicule de ce souhait théologique, et le mur sa gratification visuelle.». Selon Wendy Brown, ces dimensions théologiques et psychiques expliquent pourquoi l’inefficacité des murs ne limite malheureusement en rien leur désirabilité.

Antonin Margier

Mur israélo-palestinien © Reuters / Yannis Behrakis

Bibliographie

BROWN, Wendy. 2009. Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique. Paris, Les prairies ordinaires.

RIGOUSTE, Mathieu. 2007. « L’ennemi intérieur, de la guerre coloniale au contrôle sécuritaire », Cultures & Conflits, no. 67, automne 2007.

SAID, Edward. 1980. L’orientalisme. L’Orient crée par l’Occident. Paris, Seuil.

SCHMITT, Carl. 2001. Le nomos de la terre. Paris, PUF, Leviathan.

TRATNJEK, Bénédicte. 2009. « Les Etats-Unis et la frontière : les murs, un urbanisme de paix ou un urbanisme de guerre ». Agoravox. Le média citoyen, 11 juillet 2009. <http://www.agoravox.fr/actualités/international/article/les-etats-unis-et-la-frontière-les-58781> [En ligne]. Site consulté le 05 mai 2010.

VALLET, Elisabeth et CHARLES, Philipe David. 2009. « Le fantasme du mur », Le Devoir, 26 octobre 2009.

VALLET, Elisabeth. 2009. « Toujours plus de murs dans un monde sans frontières », Le Devoir, 26 octobre 2009.

Et le rideau se lève sur l’espace

Par Nicolas Lozier.

La Terre nous en apprend plus long que tous les livres (Saint-Exupéry).

« L’éclairage aussi est étrange. Sans atmosphère, le phénomène de réfraction disparaît, si bien que l’on passe directement de l’obscurité totale à la lumière, sans aucune transition. Quand je tends la main pour la mettre au soleil, on dirait que je traverse la barrière d’une autre dimension. » Comme si, pour l’astronaute, l’ombre et la lumière étaient deux dimensions nouvelles, dans la mesure où n’existe plus pour lui aucune transition, la perte des phénomènes de réfraction atmosphérique provoquant une perception différente de la réalité (Aldrin, cité in Virilio, 1995 : 168).

Photomontage par Alessandro Poli pour Architettura interplanetaria (Architecture interplanétaire), 1970-1971. © Archivio Alessandro Poli. Photo- Antonio Quattrone

Quoi de mieux pour commencer ce journal/blog que de parler d’espace ! Mais je vous arrête tout de suite. Nul besoin de soupirer en pensant que je vais vous servir de la théorie, de la lourdeur géographique, du jargon spécialisé rébarbatif. Il ne pourrait s’agir que de ça ! Non, je vous invite au-delà des confins de notre monde, en nous penchant brièvement sur le voyage vers le nulle-part et partout spatial, entrepris il y a maintenant plus d’une quarantaine d’années ― et qui semble gager de nouveaux épisodes dans un futur anticipé (AFP, 2010). Situation inaugurale d’une vision renouvelée de notre terre, s’il en est : vue de l’infini, elle est ronde, bouclée sur elle-même.

Le Centre Canadien d’Architecture (CCA) de Montréal introduit une nouvelle exposition en son sein, telle que le précise la note liminaire à l’annonce du vernissage de l’exposition :

« Autres odyssées de l’espace expose trois perspectives sur une aventure entamée il y a 40 ans, après la mission lunaire de 1969. L’engouement pour l’exploration spatiale semble aujourd’hui renouvelé, à travers les expéditions scientifiques, les lancements de satellites et l’émergence du tourisme spatial, qui poussent à revoir notre relation à la planète. Comment les réflexions sur l’espace s’ouvrent-elles par de nouvelles perspectives sur Terre ? Les architectes Greg Lynn, Michael Maltzan et Alessandro Poli nous présentent ici leurs différentes approches de la question, et leurs odyssées, réelles ou virtuelles, invitent en définitive à redécouvrir notre propre monde. » (CCA, 2010a).

L’enceinte principale du CCA, divisée en six salles connectées, recueille une partie des travaux des trois architectes ayant poussés leur réflexions, non pas sur l’espace de l’architecture ou l’espace et l’architecture, mais plus sur la composante architecturale de l’espace et sa dimension humainement appropriante. Petite présentation.

Le premier (Greg Lynn) présente trois projets dont un qui dimensionne les propriétés matérielles d’une nouvelle cité mondiale (New City), reflet de l’activité virtuelle humaine que l’on retrouve avec les médias sociaux, à la fois vivace et productrice de rapports sociaux. L’ordonnancement logique des flux de ces activités sociales distanciées se traduit également, dans l’une des deux salles consacrées à Lynn, en des formes organiques uniques et mollement articulées correspondant à des portions continentales du monde. Des dites formes, l’artiste confirme dès lors non pas le reflet mais, ces formes n’ayant jamais existé auparavant, la primauté de cette tendance sociale. Concernant plus spécifiquement New City, cette ville virtuelle prend forme à partir d’un système de représentations de ces rapports, comprenez des clics et des commentaires tapés exécutés online, plus intenses sur certaines parties de ce territoire mondial ― et à l’instar de ces « poils » plus ou moins longs qui recouvrent la surface intérieure des formes substantivement sociales (voir les premières photos de la sélection d’images sur le site internet du CCA). Cette « cité » virtualisée ainsi construite et justifiée fait étonnement allusion à la cité grecque et à l’idéal démocratique immatériel qu’elle sous-tend. Ainsi, ses réflexions sur l’espace, qu’il soit virtuel ou extra-terrestre (pour les besoins d’un film) « [font]  appel à des conditions improbables ou extrêmes, telles que la réalité virtuelle ou l’absence de gravité, pour proposer de nouvelles orientations, technologies et formes, comme du domaine des possibilités architecturales. » (CCA, 2010b).

Le deuxième (Alessandro Poli) adresse aux visiteurs différents travaux, d’apparences inégales, composés en réaction à la conquête de l’espace desquels il souligne par la dialectique des positions humaines et sociales de prime abord divergentes. Ainsi l’on se retrouve dans la deuxième salle destinée à l’architecte où, de manière insolite, sont présentés des outils employés par la paysannerie italienne à la fin des années 1960 et des carnets remplis de croquis et de notes prises de l’observation de Zeno, ce paysan italien : homme seul, nullement esseulé, dans la campagne toscane, au milieu du monde, de son micro-cosme(os), et la lune comme point de repère. Contexte singulier qui renvoie familièrement au vide à portée de mains de l’astronaute, la terre comme synonyme de lune. La première salle (la première également que l’on pénètre pour commencer le circuit de l’exposition) expose ce lien entre conquête spatiale et terra firma que l’architecte cherche à matérialiser avec ce connecteur autoroutier ― dont le film du groupe italien d’architecture radicale Superstudio (1972) trace les possibilités en mélangeant théories architecturales et matériaux de collage. L’espace n’est pas l’ailleurs, mais partie intégrante de l’aventure humaine. Tout comme le monde du paysan devient le plafond terrestre du plancher cosmique de l’astronaute : « Les réflexions actuelles de Poli sont cristallisées dans le collage Zeno rencontre Aldrin à Riparbella, qui illustre la relation entre ces deux personnages emblématiques, tout en éclairant le thème de l’exposition : la redécouverte de la Terre grâce à l’exploration spatiale. » (CCA, 2010b).

Le troisième (Michael Maltzan) révèle un projet encore au stade exploratoire ― et qui se situe, quant à lui, sur une base plus familière du rôle du CCA. Pour l’architecte, l’exploration spatiale ne peut se concrétiser qu’à partir d’un seul lieu : son centre d’opération, bien ancré sur terre. Ainsi, il propose une série de maquettes et de croquis afin de cerner les caractéristiques propres au projet de construction du nouveau bâtiment pour le Jet Propulsion Laboratory (JPL). Le travail exposé démontre, dans chacune des deux salles, les conditions « technico-bureaucratique » et le contexte épique de l’aventure spatiale, constituant une trame narrative à l’élaboration du bâtiment. Ce bâtiment « cherche à combler l’hiatus entre les qualités émotionnelles de l’exploration spatiale et la nature bureaucratique de la recherche scientifique qui sous-tendent ces missions. » (CCA, 2010b). Cette mise en contexte cherche à optimiser, dans l’idée du bâtiment, la relation entre l’imaginaire ― sidéral ― décomplexé et les bornes de l’expérience quotidienne des chercheurs du JPL.

Cette exposition reste, toutefois, difficile d’approche. Et les travaux exposés, bien que suscitant un certain enthousiasme que l’on pourrait relier à l’idée fantasmatique que l’on se fait de ce qui se trouve au-delà de l’oignon atmosphérique, paraissent assez chichement éparpillés dans les salles et délicats à connecter ensemble. Cela démontre, cependant, que l’entrée dans l’ère spatiale, reflétant ce qu’il y a de conquérant dans la nature humaine, avec ses bien- et méfaits, inspire des passions variés et des situations appropriantes qui ont ébranlé le regard porté sur notre terre, sur nous. Lien qui se trouve être très stimulant avec le travail d’Alessandro Poli présenté ici, peut-être le plus poétique ― et faisant montre d’un graphisme intéressant ― d’entre les trois.

Nicolas Lozier

Exposition « Autres odyssées de l’espace : Greg Lynn, Michael Maltzan, Alessandro Poli », 08 avril au 06 septembre 2010, au Centre Canadien d’Architecture de Montréal.

Bibliographie

Agence France Presse. 2010. « Obama affirme ses ambitions spatiales : des américains autour de mars en 2035 ». AFP, 15 avril 2010. <http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5h6MAz-5v-Z50zPzTtG8Z-qJk8L2Q> [En ligne]. Page consultée le 18 avril 2010.

Centre Canadien d’Architecture. 2010a. « Autres odyssées de l’espace : Greg Lynn, Michael Maltzan, Alessandro Poli ». CCA, expositions, 8 avril au 6 septembre 2010. <http://www.cca.qc.ca/fr/expositions/417-autres-odyssees-de-lespace-greg-lynn-michael-maltzan> [En ligne]. Site consulté le 18 avril 2010.

Centre Canadien d’Architecture. 2010b. Le CCA présente Autres odyssées de l’espace : Greg Lynn, Michael Maltzan, Alessandro Poli du 8 avril au 6 septembre 2010. Montréal, CCA, communiqué, 29 mars 2010.

VIRILIO, Paul. 1995. La vitesse de libération. Paris, Galilée.